DECEMBRE
2002
ENSEIGNEMENT
"L'humanité
change... que devient le témoignage de l'Église?"
WE Inter-Églises 28-29/9/02 à Landersen
Jacques
BUCHHOLD, professeur de Nouveau Testament à la Faculté
Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine.
L'Église
de Jérusalem : l'héritage assumé, la nouveauté
incarnée
Dans 1Tim 3.15, l'Église
est comparée à une colonne qui rappelle la vérité,
lieu où "elle est fermement établie"
(c'est l'image de la colonne trajane, du nom de l'empereur romain
TRAJAN, entourée d'une sorte de bande dessinée
des victoires remportées par cet empereur). L'Église
est la colonne qui lorsqu'on la voit devrait rappeler la vérité
de Dieu, elle est aussi le lieu où siège cette
vérité: comment l'Église s'adaptera-t-elle
à la situation actuelle sans dénaturer le message
qu'elle porte? L'exemple des Églises du Nouveau Testament
peut aider à répondre à cette question.
1. L'étrange
pratique de l'Église de Jérusalem selon Actes 2
et 4
Lorsque Jésus est monté au ciel, il nous a laissé
fort peu d'indications précises sur la communauté
créée et donc les disciples tous juifs convertis
à Jésus-Christ - ont spontanément vécu
les réalités de la nouvelle alliance au sein de
celles de l'ancienne. Ils se sont réunis pour prier, partager
la cène et être enseignés par les apôtres,
mais ils continuaient à aller au Temple de Jérusalem.
Certains ont rapproché ces pratiques de l'Église
de Jérusalem de celles des esséniens (qui se trouvaient
dans toute la Judée à cette époque, pas
seulement à Qumram) : habitude de tirer au sort (successeur
de Judas), de partager les biens, de mener une vie communautaire
intense (repas communautaires). Par ailleurs, certains archéologues
qui ont travaillé à Jérusalem pensent qu'il
se pourrait que la communauté chrétienne de Jérusalem
ait été installée dans le quartier essénien
de la ville.
Mais les différences entre les pratiques esséniennes
et les pratiques chrétiennes sont au moins tout aussi
frappantes : partage des biens non obligatoire (cf. Ananias-Saphira),
admission immédiate dans la communauté après
confession de la foi, baptême unique (pas comme les ablutions
esséniennes), piété peu soucieuse de pureté
rituelle, etc.
Il y a donc des ressemblances frappantes, mais aussi des dissemblances
évidentes. La toute jeune communauté de la nouvelle
alliance à Jérusalem s'est, d'une certaine manière,
"coulée" dans l'une des formes du judaïsme
ancien, respectant ainsi le principe divin de l'incarnation,
mais en rajoutant la nouveauté de Jésus-Christ
2. L'enjeu de
l'unité (Ac 6)
Ce même principe d'incarnation est à l'oeuvre lorsque
les apôtres décident de nommer "sept hommes
réputés dignes de confiance, remplis du Saint-Esprit
et de sagesse" (6.3) pour répondre aux tensions
qui avaient surgi "entre les disciples juifs de culture
grecque et ceux qui étaient nés en Palestine"
à l'occasion des distributions quotidiennes de nourriture
aux veuves de ces deux origines (6.1). Les apôtres ont
donc nommé sept personnes d'origine grecque (elles portent
toutes des noms grecs). L'Église s'est donc rendu compte
très tôt de l'importance de cet enjeu de l'unité,
qui devait s'incarner dans ce qui se faisait dans l'Église
(cf. aussi l'épisode d'Ananias et Saphira, très
proche de l'histoire d'Akan dans l'AT on y retrouve la
même exigence absolue de pureté et le souci de vérité,
d'unité de l'Église).
3. Le passage
du relais de l'autorité
Le passage du relais de l'autorité dans l'Église
de Jérusalem entre Pierre et Jacques (Actes 12.17) illustre
à nouveau ce principe de l'incarnation. Pierre sort de
prison, dit de le faire savoir à Jacques et part : on
assiste au passage d'une autorité "charismatique"
à une autorité "dynastique" (Jacques
était le frère de Jésus). Après la
mort de Jacques en 62, Siméon lui succède (également
de la famille de Jacques), puis une liste de successeurs, tous
de la famille de Jacques. l'Esprit de Dieu semble incarner sa
manière de faire dans les réalités humaines.
4. l'Église,
le Temple et le réalisme politique
Le souci de Jacques de respecter la réalité de
l'ancienne alliance s'est manifesté lorsque Paul est venu
à Jérusalem pour y apporter la collecte patiemment
recueillie dans les Églises pagano-chrétiennes
d'Asie mineure, de Macédoine et de Grèce (Ac 24.17).
L'apôtre, en effet, pour montrer qu'il demeurait un juif
fidèle aux prescriptions de la Loi, a accepté,
à la demande de Jacques, de participer à la cérémonie
de purification au Temple de quatre chrétiens qui avaient
fait un voeu: 21.23-24, 26. Jacques et Paul ont donc voulu prouver
qu'ils respectaient l'AT, et nous?
5. Et nous?
L'identité évangélique française
s'est forgée bien souvent "contre" (contre
le catholicisme, ou au siècle dernier contre un protestantisme
attiédi, contre le libéralisme, etc.). Pour de
nombreux chrétiens évangéliques, la France
est en fait une terre de mission qui n'a jamais connu l'Évangile!
Mais l'histoire du christianisme français ne débute
pas à la Réforme! (citons Blandine, mise à
mort à Lyon en 177, Irénée, Anselme 1033-1109,
qui a rédigé le célèbre Proslogion,
Bernard de Clairvaux, Thomas d'Aquin, etc., ainsi que les innombrables
abbayes, monastères, prieurés, qui ont couvert
le territoire français au Moyen-Age.
La France n'est donc pas une terre de mission mais une terre
de sécularisation.
Il y a un véritable enracinement de la foi dans l'histoire
: une Église vivante est une Église qui a des racines
! Soyons fiers de nos racines (à l'image de l'exhortation
de Paul d'être pleins d'orgueil dans le Seigneur, dans
Romains 5. 11 ou 1 Co 1.31 par exemple).
Posons-nous une question: qui d'entre nous connaît réellement
son histoire, l'histoire de son Église Évangélique
Méthodiste? Pourquoi "évangélique"?
Et qu'est-ce que le méthodisme? Que vous disent des noms
tels que WESLEY, WHITEFIELD, BOOTH?
Les Églises
pauliniennes: crise au sein de l'alliance, les païens se
convertissent!
1. Rappel
des faits
Selon la chronologie de la vie de Paul, que l'on peut tenter
de reconstituer à partir des données des Actes
et des Galates, l'apôtre s'est converti vers 34. Vers la
même époque en gros, l'Église d'Antioche
a été créée, la première Église
d'origine pagano-chrétienne, suite à l'annonce
de l'Évangile par des chrétiens venus de Jérusalem.
Vers 43-44, Barnabas cherche Paul et va à Antioche de
Pisidie. Environ un an et demi plus tard, ils partent pour le
premier voyage missionnaire et vont à Chypre (de là
où vient Barnabas), puis en Asie Mineure et finalement
rentrent à Antioche (Ac 13-14). En 48/49, ils montent
à Jérusalem pour le premier "concile"
de l'histoire de l'Église (ch. 15).
2. Un séisme
théologique: les païens se tournent vers l'Évangile
L'entrée des païens dans le peuple de Dieu a provoqué
une grande crise dans l'Église primitive. Après
le retour de Paul et de Barnabas (Ac 14.27-28) à Antioche
suite à leur tournée missionnaire à Chypre
et en Galatie du Sud, Pierre revient les voir, mais il prend
peur car il les voit manger avec les païens convertis. Barnabas
prend alors le parti de Pierre et Paul se retrouve seul avec
ces païens convertis. Par la suite, Paul apprend que d'anciens
juifs sillonnent la Galatie en disant qu'il faut se faire circoncire
pour atteindre la "perfection", prétendant
qu'on ne peut être un bon chrétien qu'en étant
d'abord un bon juif.
3. Un renouvellement
théologique, une innovation "ecclésiologique".
Au coeur de la pensée judéo-chrétienne,
on a l'affirmation que la vie chrétienne commence par
la nouvelle naissance et continue par l'obéissance (c'est
d'ailleurs ce que disait WESLEY).
Paul devait faire comprendre aux anciens juifs que le statut
juridique d'un païen converti changeait à partir
du moment où il recevait Jésus-Christ. Il parle
donc d'une foi chrétienne, dans laquelle les oeuvres juives
(par exemple la circoncision) ne servent plus à rien.
Bien que la vérité fondamentale n'ait pas changé,
la formulation s'est modifiée: l'entrée des païens
dans l'Église a suscité un approfondissement théologique.
Ce renouvellement théologique s'est accompagné
d'une incroyable innovation "ecclésiologique",
qui a tendu à relativiser les réalités qui
divisent les hommes. Car en Jésus-Christ, "il
n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre,
il n'y a plus ni homme ni femme"; tous, en effet, sont
un (Ga 3.28). Pour les Romains, les esclaves étaient des
"choses", alors que Paul les traite en êtres
humains responsables ; parmi les anciens de l'Église d'Antioche
de Syrie, on trouve un noir (Niger) au même titre que quelqu'un
qui a été élevé aux côtés
d'Hérode Antipas; Paul donne une grande place aux femmes
dans ses écrits, contrairement aux usages de l'époque,
etc.
Paul est quelqu'un qui a voulu vivre la vérité
de l'Évangile dans l'ouverture aux nouveautés.
4. Une époque
de pluralisme et de communautarisme culturel
Le pluralisme de notre époque qui regroupe en un même
lieu chrétiens catholiques, protestants ou orthodoxes,
athées, musulmans, juifs, bouddhistes, adeptes de la spiritualité
"new age", matérialistes, etc. ressemble
beaucoup plus à ce que Paul a connu qu'à la situation
de nos pays durant le Moyen ge. Paganisme, judaïsme, stoïcisme,
épicurisme, occultisme, cultes à mystères,
hédonisme et jeux du cirque se côtoyaient au premier
siècle. Ne nous faudrait-il donc pas, nous aussi, avoir
le courage de reformuler la vérité de l'Évangile
pour notre temps? Luther (au XVIe siècle) était
obnubilé par sa culpabilité, d'où l'importance
de la justification pour lui, mais aujourd'hui, les gens ne sont-ils
pas plus sensibles aux notions d'esclavage et de libération?
5. Et nous?
Aujourd'hui, on constate l'importance de l'amour dans l'Église,
d'offrir à nos voisins de l'amour et de les accueillir,
afin d'aider les gens à redécouvrir le sens de
Dieu, tout en incarnant la nouveauté dans la vie de l'Église.
Nous devons modifier nos formes pour nous adapter à nos
contemporains.
La difficulté pour nous est de trouver un équilibre
nouveauté tradition, de vivre le thème de
la nouveauté, de la réalité nouvelle du
peuple de la nouvelle alliance, tout en étant conscients
que privilégier la nouveauté au détriment
de la tradition produit la superficialité.
L'Église
au XXIe siècle: quelques enjeux stratégiques
Selon Rm 12.2, notre intelligence
doit être transformée, renouvelée. Au travers
du dynamisme de Paul, nous pouvons être amenés nous
aussi à réfléchir, à approfondir
notre pensée. Par exemple, quand il arrivait dans une
ville, il allait d'abord dans les synagogues prêcher l'Évangile.
Quand en 57, il écrit son épître aux romains,
sa réflexion a beaucoup mûri par rapport à
son épître aux galates, écrite environ dix
ans plus tôt (en 48). Par exemple, quand il parle de la
circoncision, il a réalisé entre-temps qu'Abraham
a été justifié en Gn 15, alors que la circoncision
n'est apparue que plus tard (Gn 17). Ce qui fait que la justification
précède la circoncision et donc il n'est pas nécessaire
que les païens convertis se fassent circoncire.
Et nous, réfléchissons-nous à l'Évangile
que nous prêchons, ou répétons-nous simplement
ce que nous avons appris? Parler par exemple de repentance n'a
plus aucune pertinence dans le monde d'aujourd'hui, mais il est
important d'avoir une réponse pertinente à la question:
"Qu'est-ce que l'homme?"
Consacrons-nous du temps à communiquer l'Évangile
intelligemment, en répondant aux interrogations des gens?
Réflexion
sur l'Église
On constate une évolution théologique chez Paul
sur l'Église entre ses épîtres aux corinthiens
et aux éphésiens: dans Cor et Rm, l'Église
est vue comme le corps de Christ alors que dans Éph et
Col, Christ est la tête de l'Église. Dans Cor et
Rm, Paul développe l'image grecque du corps : tout chrétien
a sa place dans ce corps. Alors que dans Éph et Col, l'Église
et le chrétien forment un corps tous ensemble, il y a
une sorte d'unité organique.
Ne devrions-nous pas aussi réfléchir à notre
définition de l'Église? Réfléchissons-nous
vraiment à ce qu'implique l'unité de l'Église,
avec notre multitude de dénomination? Par exemple favoriser
les relations entre Églises d'une même localité...
D'autre part, Paul réagit face à l'hérésie
du protognosticisme au premier siècle en parlant du logos
- cher aux stoïciens - mais pour dire que ce logos
est devenu homme pour nous sauver. Dans beaucoup de domaines
(l'homosexualité par ex.), nous nous satisfaisons de dire
"C'est une hérésie! " sans réfléchir
à pourquoi c'en est une. Nous sommes appelés
à réfléchir à notre responsabilité
en tant que chrétiens.
Dernier exemple: dans toutes les épîtres du
NT adressées à des Églises, il n'y a aucune
exhortation à évangéliser, alors que nous
nous culpabilisons si souvent si nous n'avons amené personne
à Christ la dernière année. Dans 1Cor 9.16,
Paul dit: "Malheur à moi si je n'évangélise!",
pas : "Malheur à vous".
L'évangélisation est un ministère réservé
à certains, mais tout chrétien est
appelé à incarner la nouveauté de l'Évangile,
à être un témoin de cette Bonne Nouvelle
là où il est, à répondre avec douceur
aux interrogations des autres. Ceci entraîne une revalorisation
des ministères, et encourage chacun à ne pas se
culpabiliser, mais à être un témoin là
où il est.
Priez et réfléchissez à votre manière
de communiquer l'Évangile et de répondre aux questions
de votre entourage.
Christian BURY (aidé pour les deux premières
parties par un article paru dans l'Info-FEF 89, septembre 2001,
p. 9-15).
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