MARS
2004
OPINION
Comment
la Bible est-elle "Parole de Dieu?"
Ceci est le résumé d'une conférence
donnée à l'Église Évangélique
Méthodiste Strasbourg-Emmanuel en octobre 2003 dans le
cadre de l'année de la Bible. Élisabeth PARMENTIER
est professeur de théologie pratique à la faculté
protestante de Strasbourg et présidente de la «
Communion d'Églises Protestantes en Europe» (CEPE),
anciennement «Communion Écclésiale de Leuenberg».
La Bible est en fait un terme collectif (en grec: «les
livres») et se présentait à l'origine
sous forme de rouleaux puis de grands parchemins. Ceux-ci étaient
si lourds qu'ils ne pouvaient être réunis en un
seul livre mais représentaient toute une bibliothèque
! Les lecteurs et copistes n'avaient pas tant conscience de son
unité. Ce n'est qu'avec l'imprimerie au XVIe siècle
que « la Bible » devient une réalité
que l'on peut tenir entre ses mains ! Ceci explique qu'avant
la Réforme les théologiens aient été
si concentrés sur certains écrits. La lecture de
toute la Bible n'est devenue une habitude qu'à la période
du Piétisme.
Les expressions «parole de l'Écriture»
ou «nous écoutons l'Écriture»
paraissent être des oxymores (des termes qui se contredisent),
c'est en tout cas une création de langage inattendue.
Une double question se pose: «Comment la parole devient-elle
Écriture?» et «Comment l'Écriture
devient-elle "parlante"? »
Ceci rejoint l'interrogation des Réformateurs: «Qu'est-ce
qui a autorité, " l'Écriture seule "
ou " la Parole seule " (parole de Dieu)?»
Les deux ! Car de Dieu nous ne connaissons que ce que nous entendons
de sa Parole, mais celle-ci est révélée
uniquement par l'Écriture. En cela la Réforme se
distingue de l'approche de Dieu de la tradition scolastique (par
la spéculation, la nature, la méditation).
Le «Schriftwort» ou «parole de l'Écriture»
est une expression antinomique car la présentation nie
ce qu'affirme le contenu: que Dieu parle, l'Écriture le
montre, mais au passé: il a parlé !
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La parole de Dieu est en lien étroit avec sa présence.
L'écrit devient trace de cette présence.
Exemples de textes :
- Exode 20 et le don des 10 commandements
:
Ce don est précédé d'une théophanie
(manifestation de Dieu), ce qui unit la présence de Dieu
à sa parole. Le texte montre que Dieu donne ses commandements,
mais le peuple ne supporte pas sa présence. Ex 20.19 :
«Ils dirent à Moïse : parle-nous toi-même
et nous écouterons ; mais que Dieu ne nous parle pas,
de peur que nous ne mourions ». Le peuple se tient
alors à distance et seul Moïse s'approche de la montagne
où Dieu est présent (v. 21). Dieu se retire pour
laisser une trace écrite, les «tables de la Loi».
Le Décalogue (10 paroles) devient en fait décagraphe
(10 écrits)! Comme la pierre, l'Écriture peut aussi
rester morte, non expressive, s'il n'y a pas de lecteur pour
ressusciter la parole d'origine. Ce qui implique que pour les
Juifs la Torah et pour les chrétiens l'Écriture
ne sont que des «traces» de la vive présence
de Dieu et de sa parole! Si l'on y ajoute le fait que le texte
transmis n'était composé en hébreu que des
consonnes, ce n'est même que l'ombre des traces de la parole!
- Esaïe 6 et la vocation du prophète
:
La vocation du prophète Esaïe est accompagnée
d'une des rares théophanies où Dieu laisse entrevoir
sa gloire. La vision est accompagnée d'une parole énigmatique:
«Va dire à ce peuple : écoutez toujours,
mais vous ne comprendrez rien! Regardez toujours, mais vous n'apprendrez
rien! Engourdis le coeur de ce peuple, rends-le dur d'oreille
et ferme-lui les yeux, de peur qu'il ne voie des ses yeux et
n'entende de ses oreilles, que son coeur ne comprenne, qu'il
ne revienne et soit guéri» (Es 6.9s). Cette
parole qui ne doit pas être reçue va disparaître
comme parole orale pour être sauvée par l'Écriture!
- Esaïe 53 et le serviteur souffrant
:
Dans le destin du serviteur souffrant, la parole de
Dieu est figurée en personne, mais aussi comme une parole
muselée et anéantie: «Il n'avait ni apparence
ni éclat pour que nous le regardions et son aspect n'avait
rien pour nous attirer... il était méprisé,
nous ne l'avons pas estimé» (Es 53.2 et 3).
Cette figure du serviteur de la parole de Dieu va jusque dans
la tombe (une tombe parmi celles des gens violents !) et dans
l'abandon de la part des hommes. Mais le v. 11 évoque
aussi le relèvement: «Après les tourments
de son âme, il rassasiera ses regards, par la connaissance
qu'ils auront de lui, mon serviteur justifiera beaucoup d'hommes».
Le regard est ici à l'honneur et mis en relation avec
la connaissance. Et au chapitre 49, ce serviteur est déjà
annoncé comme « lumière des nations »
et sa bouche est «une épée tranchante»!
- Apocalypse 22 et l'inversion entre
Écriture et parole :
Le livre de l'Apocalypse clôt la Bible sur la
prière « Viens Seigneur Jésus » (Ap
22.20) et la réponse «Oui je viens bientôt»:
là, le livre ne vient plus après le passage de
Dieu mais précède son arrivée ! L'Écriture
précède la parole vive et la présence! Si
bien qu'à la fin le livre demeure ouvert.
Exemples tirés de Hermann TIMM, «Wovon redet
die Schrift? Gottes Autobiographie. Aus der Werkstatt einer libristischen
Hermeneutik», in Biblischer Text und theologische
Theoriebildung, Stephen CHAPMAN, Christine HELMER, Christof
LANDMESSER (Hg),Neukirchener Verlag, 2001, p.191-210.
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L'Écriture comme «Parole de Dieu» est
une métaphore, une expression imagée analogique
qui ne doit pas être comprise comme une immédiateté
entre Parole et Écriture. L'expression «Parole
de l'Écriture» ne doit pas être comprise
comme «Dieu a dit», tel que c'est écrit.
Deux extrêmes seraient une fausse interprétation:
la compréhension littéraliste qui prend tout à
la lettre comme parole directement inspirée telle quelle,
et la compréhension littérale qui affirme que toute
la Bible n'est qu'une interprétation humaine replacée
dans la bouche de Dieu et de ses envoyés.
La compréhension de l'Écriture comme Parole de
Dieu est semblable à l'abaissement de Dieu qui accepte
de se laisser entrevoir dans les paroles humaines, ce qui est
signifié par l'incarnation qui est l'abaissement volontaire
de la plénitude de Dieu dans l'homme: Jésus-Christ
est Fils de Dieu et Fils de l'Homme! L'Écriture est comme
la figure du serviteur souffrant qui n'est pas d'apparence attrayante
et ne laisse pas aborder Dieu de manière immédiate.
Il n'y a pas d'accès direct au Dieu de la révélation
biblique sinon par des témoignages des auteurs et rédacteurs
multiples dans la diversité des livres. «Les
paroles de Dieu, passant par les langues humaines ont pris la
ressemblance du langage des humains, de même que jadis
le Verbe du Père éternel, ayant pris l'infirmité
de notre chair est devenu semblable aux hommes» (Dei
Verbum de Vatican II, paragraphe 13) :
Ces textes montrent l'étroit parallélisme avec
l'Écriture sainte où la parole vive de Dieu accepte
de descendre dans l'obscurité du non-être de la
«lettre», au risque de rester «lettre
morte», pour porter du fruit par l'Esprit qui inspire
les auteurs et les lecteurs. L'Évangile selon Jean relie
bien le point de départ de Jésus au don de l'Esprit
: «Il est avantageux pour vous que je m'en aille; car
si je ne m'en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à
vous, mais si je m'en vais, je vous l'enverrai» (Jean
16.7). Là encore, le don de l'Esprit implique l'écrit
: «Mais ceci est écrit afin que vous croyiez
que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et qu'en croyant,
vous ayez la vie en son nom».
La parole de Dieu est trinitaire: Dieu parle, Jésus-Christ
manifeste cette parole, l'Esprit ouvre l'entendement. Paul montre
aussi que les chrétiens ont devant les yeux Jésus-Christ
crucifié : le message chrétien a «dépeint»
Jésus-Christ crucifié (Ga 3.1) mais il faut l'Esprit
pour le dévoilement du sens de cet événement
(2 Co 3.16s).
Dieu s'est révélé par une personne et par
des écrits humains. Dieu n'a pas un langage différent
des langues des hommes. Pour une théologie chrétienne,
Dieu a choisi un corps humain. C'est un des lieux de la révélation
de Dieu. C'est une fausse compréhension si la «
sainteté » des Écritures est opposée
à leur humanité, car ce serait une négation
de l'incarnation en Christ. Gérard SIEGWALT (Dogmatique
pour la Catholicité Évangélique) dit
que l'humanité de l'Écriture est comme celle des
vases d'argile qui portent un trésor d'une incomparable
puissance (2 Cor 4.7). Les auteurs sont des témoins, le
témoin livre une expérience de vie : tout l'être
est centré dans son expérience. Le témoin
écrit pour ainsi dire « avec son sang », c'est-à-dire
avec sa vie. La participation vient de ce que ces témoins
sont engagés corps et âme quand ils écrivent.
La Bible devient un chemin d'accès à Dieu. Nous
n'avons pas la foi en un livre, mais en Dieu. Nous n'avons pas
à trouver des sécurités dans la Bible, sinon
nous aurions une foi d'esclave. La question de l'action de l'Esprit
Saint est posée : il faut à la fois sauvegarder
l'action de Dieu et la liberté humaine. L'Esprit Saint
fait parler les prophètes. Il faut du courage pour témoigner,
pour trouver les paroles exactes. Le dessein de Dieu ne se révèle
pas à travers des enseignements mais des personnes et
des actions.
Il est important de respecter la diversité des textes
comme autant de témoignages de l'expérience de
la rencontre avec Dieu. Mais qu'est-ce qui fait l'unité
de cette «bibliothèque»? Pas les auteurs
bibliques ; pas un rédacteur final qui aurait réuni
l'ensemble en mettant la dernière main aux textes ; l'Église?
Ce serait la réponse catholique mais la tradition comporterait
beaucoup de lignes différentes ; le lecteur? Ce serait
une tentation protestante mais une instance trop subjective l'unité
est ce à quoi le texte renvoie, la révélation
de l'oeuvre de Dieu.
Même les auteurs « inspirés » par l'Esprit
n'étaient pas infaillibles: il n'existe pas dans l'histoire
de l'Église de doctrine de l'infaillibilité des
auteurs bibliques (alors qu'il y a la doctrine de l'infaillibilité
de la Bible elle-même). La Parole de Dieu nous atteint
par la médiation humaine et non à l'état
pur, dans l'expérience et le témoignage d'humains
limités et pécheurs. La Bible est à la fois
de Dieu et de l'Homme car elle est le résultat de leur
rencontre!
Élisabeth PARMENTIER
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