JANVIER
2002
TEMPS
PROPHÉTIQUE ET TEMPS MATÉRIEL
"Je vous le dis en
vérité, cette génération ne passera
pas, que tout cela n'arrive" (Mat 24.34).
(NDLR : Cette réflexion a été rédigée
avant les attentats du 11/9/2001 aux États-Unis)
Quand "
le temps est court " (1Cor 7.29)
Les prophètes
hébreux voient très grand en matière de
péché et de châtiment, aussi bien qu'en matière
de pardon et de salut.
Le péché, selon eux, est aussi grave qu'universel,
affectant tout Israël et toutes les nations. Et le châtiment,
nous disent-ils, culminera en cataclysme jamais enregistré
jusqu'à présent : la terre tremblera sur ses bases
et les étoiles tomberont. Mais il y aura place pour le
pardon et le salut : un Messie viendra, une nouvelle Jérusalem
resplendira, l'Alliance éternelle entre Dieu et l'humanité
sera restaurée, et ce sera un bonheur paradisiaque et
perpétuel, sans aucun risque de rechute, puisque l'Éternel
dit : "Je vous donnerai un coeur nouveau un esprit nouveau"
(Ez 36.26).
Cette "fin du monde", avec son double aspect
catastrophique et rédempteur, les prophètes laissent
entendre qu'elle est très proche. En effet, l'énormité
des péchés et l'odieuse persécution que
subissent les " justes " appellent le prompt rétablissement
de la pureté originelle du monde par l'intervention souveraine
et sans réplique de son Créateur. Par conséquent,
pour les prophètes, la moindre mauvaise nouvelle (par
exemple une invasion de sauterelles, chez Amos 7.1-3) fait office
de signal d'alarme précédant de peu le désastre
total d'un monde universellement corrompu et la restauration
non moins universelle du Bien, tel que Dieu l'a voulu.
Il y a là une grande différence de mentalité
entre la prophétie biblique et les idées de notre
époque. Il faut en être conscient. Nous avons des
chances de comprendre les prophètes à partir du
moment où nous reconnaissons volontiers que nous avons
des difficultés à penser et à sentir comme
eux. De nos jours, certes, nous prenons très au sérieux
les risques multiples de catastrophe générale dont
on nous menace. Mais, en toute sincérité, nous
ne croyons guère que Dieu va tirer prétexte d'une
mauvaise conjoncture pour procéder, dans les jours ou
les semaines qui viennent, à l'extinction définitive
du Mal universel. Après tout, Dieu n'a-t-il pas promis
qu'il n'y aurait plus de déluge ? "Plus jamais
je ne frapperai tous les vivants comme je l'ai fait"
(Gen 8.21). Dès lors, l'humanité, telle que nous
la connaissons et dont nous faisons partie, a encore un avenir,
si graves que soient ses blasphèmes.
Dans ces conditions, nous restons plutôt surpris, quand
nous lisons par exemple Esaïe, chapitre 24 à 36.
Le prophète évoque le jugement dernier et universel
avant de mentionner des événements, à l'évidence
plus proches, comme la punition du peuple hébreu et celle
de ses voisins immédiats. Pour expliquer cette inversion
des temps consistant à faire passer le futur lointain
avant le futur prochain, il faut se référer à
l'expérience personnelle des prophètes. Ce sont
des gens qui voient ou qui sentent intensément la fin
de l'Ancien Monde et le surgissement du Nouveau. Dans l'Apocalypse,
ouvrage largement prophétique, Jean nous dit "qu'il
se trouvait dans l'île de Patmos" (Ap 1.9) ; mais
à cause de son "extase" (mot grec qui
signifie au sens propr : déplacement), il se trouve comme
transporté à un autre endroit et à une autre
époque. Et bien loin d'être passif dans ce décor
insolite, il a des attitudes qui influencent le déroulement
de l'action en cours: "L'un des vieillards me dit alors:
Ne pleure pas"(Ap 5.5). Le "voyant"
est là pour être vu par ceux qu'il voit. En tout
cas, quand il écrit son livre, sa "vision"
est pour lui du passé, même si elle concerne des
événements à venir. Or, sa mémoire,
au moment où il rédige son texte, lui restitue
tout ce "passé-futur" dans le présent.
Par cette façon de tout ramener dans la proximité
du présent, Jean est bien dans la lignée des prophètes.
Quand
Jésus prophétise
En Matthieu 24, Jésus
annonce la profanation-destruction du Temple et l'instauration
définitive du Royaume. Mais la rédaction de ce
passage, telle que nous la transmet le Nouveau Testament, témoigne
du fait que Jésus ne s'est guère soucié
de signaler très explicitement l'écart temporel
qui sépare les deux événements. Au fond,
Jésus semble appeler tous les Juifs à vivre la
destruction du Temple en liaison avec le triomphe de la Bonne
Nouvelle du Royaume, en liaison avec "le rassemblement
de ses élus" (Mat 24.31).
Ainsi donc, comme tous les prophètes, Jésus ressent
et nous invite à ressentir autant que possible la proximité
de l'événement décisif qui va changer le
monde (parce que cet événement sera tout à
la fois la fin du péché et des épreuves,
mais aussi le jugement, le pardon et le salut). Pour Jésus,
la "dernière heure" la sienne et
celle de ses disciples ne se divise pas, ne se fragmente
pas parce que, loin de séparer les divers moments de la
vie, elle les unit en leur donnant un sens : la vie terrestre,
dans le meilleur des cas, est appelée à se terminer
pour faire place à plus de vie encore, à plus d'épanouissement
dans la splendeur de la gloire de Dieu. Faisant allusion à
sa prochaine disparition (qu'il a toujours ressentie comme proche),
Jésus l'envisage avec appréhension et même,
à Gethsémané, avec angoisse ; mais il l'accepte,
car "le grain de blé s'il meurt, porte beaucoup
de fruit" (Jean 12.24). En conséquence, il nous
demande de le suivre non pas à contre coeur, mais volontairement:
"Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se
renie soi-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me
suive" (Mat 16.24). Et il ajoute aussitôt: "Le
Fils de l'homme doit venir dans la gloire il rendra à
chacun selon sa conduite Il en est ici présents qui ne
goûteront pas la mort avant d'avoir vu le Fils de l'homme
venant avec son Royaume" (Mat 16.27-28). Comme les prophètes
qui l'ont précédé, Jésus concentre
dans le court espace d'une génération, qui n'est
autre que la sienne, la croix, le jugement et le Royaume.
Aux foules qui l'écoutent et aux chrétiens de toutes
les époques, Jésus recommande de vivre comme lui,
avec confiance et gratitude, l'imminence de la "fin des
temps" et l'éclosion du Royaume. Nos épreuves
et nos bonnes oeuvres ne valent pas par elles-mêmes, elles
ne visent pas à consolider l'Ancien Monde, mais elles
témoignent de la nécessité et de la proximité
de la victoire du Christ. Déjà, la "nouvelle
naissance" (voir Jean 3) est le commencement de la vie
dans la gloire de Dieu. C'est dans cet esprit que le chrétien
doit "user du monde comme s'il n'en usait pas"
(1Cor 7.31), car "le temps est court" (même
endroit, verset 29) et de ce fait, il se trouve à la frontière
même du royaume de Dieu.
Que Dieu nous donne de penser et de sentir cela, à la
suite des prophètes et du Christ; et nous bénirons
dès à présent l'Éternel.
Georges LAGUARRIGUE
© Tous droits de
reproduction réservés. Détail des conditions
de reprise des articles
Toute remarque et tout
courrier à propos du Messager
Chrétien