JUILLET
& AOÛT 2001
REFLEXION
Réflexion de Robert Seitz
Réaction d'Etienne Rudolph
Mon Dieu n'est plus assis sur un trône
Réflexions autour d'une manière dépassée
de parler de Dieu
Je crois en un Dieu qui n'est plus
assis sur un trône. Il serait bien seul là-haut.
Il serait trop éloigné de moi et un Dieu bien trop
banal et que signifie: "assis sur un trône"
? Ce sont les puissants, les rois et les grands de ce monde qui
ont agi ainsi: ils ont régné sur les hommes des
siècles durant au lieu de souffrir et de rire avec eux.
Et ces pauvres hommes devaient s'agenouiller devant eux, courber
la tête et les adorer. Ils considéraient ces "seigneurs
sur le trône" comme des demi-dieux, ils les adoraient
comme des dieux. Et si ces derniers ne recevaient pas suffisamment
de considération, les conséquences pouvaient être
terribles. Ces dieux et demi-dieux vivaient de l'adoration de
leurs sujets, ils en avaient besoin, ils en dépendaient.
Ils exigeaient d'être nommés par des titres comme
"tout-puissant", "souverain",
"seigneur". Et comme "seigneurs",
ils régnaient souverainement. C'étaient des dieux
qui se prélassaient dans l'adoration de leurs créatures.
Toi, mon Dieu, je n'ai pas besoin de t'adorer ainsi. D'ailleurs
je ne suis même pas certain que tu veuilles être
adoré ainsi. Ce que j'ai de plus cher sur cette terre,
mon épouse, celle avec qui je partage toute ma vie, je
ne l'adore pas de cette manière. Je ne lui dis pas: "Ma
femme je te loue, je t'adore, tu es extraordinaire, la plus belle
des plus belles." Si je m'exprimais ainsi, elle ne saurait
que faire de telles paroles. Elle me répondrait probablement:
"Arrête de baratiner ainsi. Aide-moi plutôt
à réparer le robinet ou embrasse-moi!"
Ce qu'il y a de plus cher et de plus beau ne peut être
adoré ainsi. Mon épouse, je la serre dans mes bras,
elle attend d'être embrassée par son bien-aimé.
Un puissant sur son trône ne saurait se laisser prendre
dans les bras! Avec l'affirmation: "Je t'adore et te
loue, toi qui es magnifique sur ton trône", mon
coeur ne peut se réchauffer (c'est d'ailleurs le problème
que j'ai avec une partie de la littérature consacrée
à la louange). Je préfère dire: "Dieu,
ton humanité affecte tous mes sens et me touche profondément."
Mon Dieu est un "Dieu de l'enlacement", capable
de mille amabilités, un Dieu qui s'agenouille et se tient
près de moi dans le fossé misérable de ce
monde. Je lui dis: "Aujourd'hui-même, mon Dieu,
serre-moi dans tes bras tout comme moi je veux te serrer dans
les miens". Je ne le loue ni ne l'exalte dans le ciel,
mais le "tire" en bas sur ma terre et je puis
le faire, parce qu'il est là depuis longtemps dans le
mystère du Christ. "Toi, mon Dieu, après
tous les dieux triomphateurs et vengeurs, tu es enfin un Dieu
qui ne triomphe pas. Dieu merci, tu n'es pas non plus le Dieu
des podiums et des drapeaux Comme si ta manière de célébrer
la victoire devait ressembler à celle des humains Tu n'es
pas le dieu d'Harmaguédon, parce que par amour pour nous
tous, maintenant déjà tu trembles à la pensée
de tous les massacres humains."
Dieu dit: "Je ne suis comparable à aucun des souverains
de ce monde. D'ailleurs, je ne suis même pas souverain.
Ce mot n'est-il pas terrible dans votre bouche? Et si déjà
vous me nommez "souverain" (c'est ainsi que vous m'appelez
souvent), pour moi, il s'agit exactement du contraire de ce que
vous les humains mettez derrière le terme "souverain".
Et parce que je ne suis pas un souverain à votre idée,
vous ne devez pas non plus dominer les uns sur les autres. Mon
monde à venir n'a rien à voir avec cette manière
humaine de comprendre la "souveraineté".
Depuis le troisième Reich, la représentation d'un
"Dieu qui règne" a définitivement
été abolie. Depuis que le "Tout-puissant",
comme on aimait alors nommer Dieu, a été associé
aux victoires de la croix gammée, il est devenu impensable
de parler ainsi de Dieu. Cette image de Dieu est à rejeter
et à bannir à jamais. Oui, la question est posée:
"Face aux horreurs du troisième Reich, qui, aussi
longtemps que la terre subsistera, nous rendront muets, comment
pouvons-nous encore parler de Dieu d'une manière plausible?"
La toute-puissance de Dieu est totalement différente de
nos rêves d'omnipotence. Dietrich BONHOEFFER, dans son
livre "Résistance et soumission", a attiré
notre attention là-dessus: "Seul le Dieu qui souffre
peut nous aider".
"Mon Dieu, délivre-nous de la façon de
te voir avec de telles images du passé, images qui représentent
nos propres horreurs. Délivre-nous de la louange et de
l'adoration qui te sont apportées aux moyens de telles
représentations.
Et lorsqu'ils disent: "Mais c'est ainsi que c'est écrit
dans le Livre des livres", s'ils te figent ainsi, sans amour
et avec si peu de foi dans ta Parole, alors enseigne-leur à
découvrir que le meilleur de tous les livres est empreint
de la couleur des temps et des siècles. Et surtout, enseigne-leur
à le lire avec les yeux de ton amour."
Dieu, non pas souverain, mais source de la vie ;
Dieu, non pas seigneur, mais ami et amie;
Dieu, non pas tout-puissant, mais puissant en amour;
Dieu, non pas image de rêve d'hommes forts, mais véritable
visage humaiN;
Dieu, non pas victorieux agitant les drapeaux, mais compagnon
dans la nuit et sauveur des coeurs.
Robert SEITZ (traduction
: Daniel Nussbaumer et René Lamey)
Courrier des lecteurs
Réaction
La lettre précédente a été diffusée
sur Internet, dans les EEMNI du 1/6/2001. Elle a suscité
la réaction suivante, qui nous est parvenue avant l'impression
Les propos de Robert SEITZ m'ont
surpris. Personnellement, je crois en un Dieu souverain et roi
de toute la création. Pourquoi? Parce qu'il n'est pas
un roi comme les autres. La figure royale de l'AT est claire:
il s'agit d'un roi qui protège tout particulièrement
les plus faibles: veuves, orphelins et étrangers. Ce qui
signifie qu'il nous appartiendrait de le contextualiser aujourd'hui.
Qui seraient ces plus faibles? Marginaux de tout genre: marginalisés
par la maladie (sida, cancer...); marginalisés par les
conséquences du néolibéralisme (chômeurs,
pauvreté endémique et structurelle, rupture Nord-Sud,
différence grandissante entre riches et pauvre...); marginalisés
par une société machiste (au sens d'une domination
des hommes sur les femmes, différence salariale notoire,
différenciation politique, non accès à l'éducation,
à la santé, etc.); marginalisés par le racisme...
Ce Dieu-là est le protecteur des marginaux parce qu'il
est justement roi et souverain.
Le NT n'est pas en reste: Christ-Roi n'est pas une figure royaliste
dépassée datant d'une autre époque, au contraire,
le Roi Christ a ouvert le chemin du Règne de Dieu (l'emploi
du mot règne semble théologiquement plus juste
que le Royaume de Dieu). Ce règne vient, il a déjà
commencé et l'Église en est le témoin visible,
plus, elle en est l'actrice proclamant et agissant pour la justice
de Dieu. Le NT est plein de références à
l'action que les chrétiens, en tant qu'Église,
sont invités à accomplir. Un texte important parmi
d'autres: le sermon sur la montagne avec son introduction par
ce qu'on appelle les Béatitudes. Actuellement, il me semble
que seul CHOURAQUI a été capable de retraduire
le plus fidèlement possible le sens de ces paroles quand
il écrit: "En marche les pauvres... En marche,
ceux qui pleurent... En marche ceux qui ont faim et soif de justice...
etc."
Toute la Bible nous invite à rendre gloire au Dieu-Roi
parce que non seulement il est roi de toute la création
mais en Jésus-Christ, il règne dans la vie des
millions de chrétiens qui forment l'Église. Je
ne crois pas qu'il s'agisse d'une théologie triomphaliste
parce que, comme l'a dit Jésus lui-même, "mon
règne n'est pas de ce monde." Au contraire, il
s'agit bien plus d'une théologie de la croix...
L'idée de roi paraît vieille, mais la démocratie,
même si elle est une belle théorie (voir Platon)
reste une belle idée qui a du mal à supprimer les
injustices... (ceci dit je ne suis pas royaliste terrestre)
Le trône de Dieu est totalement différent des trônes
humains. Il est particulièrement et surtout dans le coeur
de chaque croyant. Non, Dieu n'est pas trop éloigné
de moi quand il est sur son trône.
Quant à l'exemple cité du 3e Reich, je ne le crois
pas valide. Bien avant ce terrible moment innommable qu'a été
ce pouvoir, d'autres périodes historiques devraient nous
inspirer l'horreur et donc nous inciter à changer notre
théologie comme n'importe quelle guerre de religions,
l'Inquisition, et déjà du temps biblique les différents
empires... Or, si à chaque "problème"
politique dans l'Histoire il fallait changer de théologie,
nous n'irions pas loin...
L'une ou l'autre expressions ou paroles sont douteuses également
comme "Je ne le loue ni ne l'exalte dans le ciel, mais
le "tire" en bas sur ma terre...", bien qu'il
ait écrit qu'il est présent sur la terre dans le
mystère du Christ, pas besoin de le "tirer"
vers moi, il y est déjà, avant même que je
puisse le comprendre...
Je comprends une partie du bien-fondé de cet essai de
changer la louange en quelque chose de plus proche des gens d'aujourd'hui,
particulièrement dans certains de nos bons vieux cantiques
qui contenaient des paroles parfois sanguinolentes ou très
guerrières, je crois d'ailleurs surtout qu'ils reflétaient
une époque. Ceci est une chose, mais il faut se garder
de vouloir changer le "bébé avec l'eau
du bain." Aujourd'hui, on n'aime plus parler de péché,
de perdition, d'obéissance, de soumission, de rédemption,
de salut... On préfère trop souvent présenter
un Dieu d'amour, parler de Jésus-Christ comme d'un ami...
Si cela n'est pas faux, cela reste incomplet si l'on s'en tient
là. De même que quand certains cercles évangéliques
ne parlent plus que de péché et de perdition.
L'Évangile du Règne de Dieu reste le même.
Il s'agirait davantage de rénover notre enseignement et
de travailler à l'éducation des chrétiens.
Le Seigneur est et reste souverain au-delà de la bêtise
et de la méchanceté humaines. Par la foi, je peux
saisir la victoire que Christ a déjà remportée
à la croix et que nous avons remportée avec lui.
En tant que chrétiens et pasteurs, il nous appartient
de présenter tout l'Évangile, c'est-à-dire
appeler à la repentance, appeler à reconnaître
en Christ son Seigneur et Sauveur, appeler à suivre Christ
sur son chemin en portant chacun sa croix, appeler à vivre
en cohérence entre le dire et le faire comme la foi nous
y invite...
Influence de la théologie sud-américaine ? Cela
reste à analyser... je n'y crois pas trop, je crois davantage
à une influence d'un Dieu de la Bible que s'est révélé
aux hommes en Jésus-Christ. Ceux-ci sont invités
à le reconnaître et à le servir (= premier
sens d'adorer, et non l'adoration au sens restrictif de se prosterner),
de tout leur coeur, de toute leur âme et toutes leurs forces.
Je crois que le fonctionnement même du Règne de
Dieu se trouve dans le service (voir Marc 10.42-45).
Je connais Robert SEITZ, je l'apprécie et respecte sa
volonté de vouloir aider les chrétiens à
réfléchir quant à leurs manières
de louer Dieu... Le débat est peut-être ouvert...
Il nous reste à l'enrichir.
Etienne RUDOLPH
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