MAI
2003
Comment lire les
Evangiles - suite (Linda Oyer)
Du
24 au 27 octobre 2002, le professeur Linda OYER a donné
dans les EEM de Colmar
et Muntzenheim (Haut-Rhin) une série d'enseignements
sur le thème : « Comment lire les Évangiles».
Comme promis le mois dernier, voici la deuxième partie
du résumé :
Les quatre Évangiles
sont tous différents, sans être contradictoires
: chacun nous dresse un portrait différent de Jésus.
N'importe qui peut lire ces quatre Évangiles, mais pour
mieux y arriver, voici quatre principes à appliquer. Nous
avons déjà cité les deux premiers (numéro
de mars 03) :
1. Reconnaître
et comprendre l'arrière-plan de l'Ancien Testament.
2. Prendre en considération la juxtaposition des textes.
Voyons les deux derniers.
3. Comparer les
passages parallèles des autres Évangiles :
Pour cette comparaison, Linda OYER
recommande l'utilisation de l'ouvrage Les Évangiles
en parallèle, Anita et Germain CHOUINARD, Distributions
Évangéliques du Québec, Sherbrooke (Québec),
1981, 252 p.
Penchons-nous sur le récit de la première multiplication
des pains (aux 5000 personnes), suivi de l'épisode où
Jésus marche sur l'eau puis apaise la tempête. Les
deux versions de ces textes sont presque identiques (Mc 6.52
et Mt 14.33), mais si nous les comparons, nous voyons que Marc
met l'accent sur l'état d'esprit des disciples (qui n'ont
pas compris) alors que Matthieu souligne qu'ils ont compris
que Jésus est le fils de Dieu.
On retrouve la même chose dans le récit de la deuxième
multiplication des pains (aux 4000 personnes), suivi par celui
des pharisiens demandant un signe, puis par la recommandation
de Jésus à ses disciples de se garder du levain
des pharisiens (Mc 8.1-21, Mt 15.32-16.12). Matthieu termine
en relevant le fait que les disciples ont compris, alors
que Marc met l'accent sur le fait qu'ils n'ont pas compris
On retrouve encore cela en comparant les deux passages relatant
la parabole du semeur : Marc souligne que les disciples n'ont
pas compris (Mc 4.13), alors que Matthieu relève
leur réponse : «Oui, nous avons compris»
(Mt 13.51).
Matthieu souligne en fait que Jésus était un bon
enseignant, ce qui a permis aux disciples de bien enseigner tout
le monde à garder ce que Jésus leur avait prescrit
(Mt 28.20). Marc, quant à lui, souligne le manque de compréhension
des disciples. Ceci nous amène au quatrième principe.
4. Interpréter
chaque Évangile dans son ensemble :
Prenons par exemple le récit
de la transfiguration. Cet épisode nous est relaté
dans les Évangiles de Matthieu, Marc et Luc, mais pas
dans celui de Jean. Pourtant, Jean était présent
lors de la transfiguration, contrairement à Matthieu,
Marc et Luc ! Comment cela se fait-il ?
En fait, Jean a tout à fait une autre conception du mot
« gloire » que Matthieu, Marc et Luc : six ou huit
jours après que Christ ait annoncé sa crucifixion
(et que Pierre ait refusé cela avec force : Mt 16.22 et
Mc 8.32), Jésus a été métamorphosé
et ses vêtements sont devenus éblouissants. Dans
cette gloire, Moïse et Élie sont aussi apparus, s'entretenant
avec Jésus de sa mort prochaine. Puis la voix du Père
s'est fait entendre : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
écoutez-le». Ce que Dieu a dit faisait
contraste avec ce que Pierre avait dit six jours avant ! Quoiqu'il
en soit, Matthieu, Marc et Luc parlent toujours d'une gloire
à venir, spectaculaire, avec des nuées
Dans l'Évangile de Jean, la notion de gloire est toute
différente et montre qui est Jésus actuellement.
Dès son prologue, Jean affirme que «nous avons
contemplé la gloire du Fils unique» (Jn 1.14).
Tout au long de son Évangile, Jean utilise la gloire de
Jésus avec des signes (noces de Cana, résurrection
de Lazare, etc.). A la fin de l'Évangile, Jésus
dit : «Moi, je leur ai donné la gloire que tu
m'as donnée...» (Jn 17.22). C'est donc à
nous maintenant de révéler le caractère
de Dieu. Pour Jean, la gloire de Dieu est rendue visible par
notre unité sur la terre. Et puisqu'il voit la gloire
comme ça, il ne parle pas de la transfiguration.
Christian BURY
5. Exemple d'application
:
Nous appliquons ces principes
aux textes de la tentation de Jésus dans les Évangiles
de Matthieu et Luc.
Après une lecture en parallèle, une question se
pose : pourquoi Luc inverse-t-il l'ordre des deux dernières
tentations par rapport à Matthieu? Examinons les textes:
Matthieu 4.1-11 et Luc 4.1-13.
N'oublions pas que Matthieu est juif et s'adresse à des
coreligionnaires. C'est l'Esprit qui conduit Jésus au
désert, c'est Satan qui l'emmène au haut du Temple
et sur une montagne.
Dans la pensée juive le désert est synonyme d'épreuves,
de tentations démoniaques. Jésus est tenté,
comme Israël, au sujet d'un besoin légitime : satisfaire
sa faim. Jésus résiste en se fondant sur l'expérience
d'Israël au désert (Dt 8.3 et Ex 16.3). Le peuple
accuse Dieu de les avoir menés au désert pour les
faire mourir, Jésus quant à lui fait confiance
à Dieu. Après l'avoir conduit au haut du temple
(littéralement «l'aile»), Satan cite
le Psaume 91. Jésus lui répond en citant Dt 6.16
et Ex 17. En d'autres termes, Jésus répond que
contrairement à Israël, lui ne forcera pas Dieu à
agir. Jésus fait confiance, il n'a pas besoin de preuves
tangibles de la sollicitude du père (idem à Golgotha
où il aurait pu demander à son Père d'intervenir
pour lui éviter de boire la coupe).
Dans la troisième tentation, Satan promet son aide à
Jésus pour la conquête des royaumes de la terre,
Jésus la refuse parce que sa force passe par la «
faiblesse de l'amour » à Golgotha. De la
même manière il rejettera l'aide de Pierre, qui
voulait se réfugier dans la force pour éviter la
croix, en lui disant: «Arrière de moi, Satan!»
Jésus passe par les mêmes tentations qu'Israël
mais sans y succomber, tel est le message de Matthieu.
Luc s'adressant à des chrétiens d'origine païenne
veut souligner que Jésus est descendant d'Adam qui comme
lui est appelé « fils de Dieu », c'est
pourquoi il intercale une généalogie, alors que
dans Matthieu et Marc la tentation est précédée
du récit du baptême.
Pour Matthieu la tentation s'achève au haut de la montagne,
pour Luc elle se poursuivra à la prochaine occasion (v.
13).
Matthieu respecte l'ordre des tentations d'Israël dans le
désert. Si Luc met la tentation à Jérusalem
en 3e position, c'est que pour lui, c'est là que se jouent
les événements capitaux de l'histoire du salut,
c'est là que Satan ne réussit pas à tenter
Jésus (mais il réussira avec Judas).
Daniel OSSWALD
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