Il est 5h30 du matin. Le muezzin appelle à la prière.
J'apprécie celui de Constantine. Son appel est plus mélodieux,
plus agréable à l'oreille. La dernière fois,
à Oran, je l'ai ressenti comme une agression pour mon
oreille. Mais quelque soit la ville, à chaque fois je
suis étonné de la fidélité et de
l'engagement avec lesquels ces hommes s'adonnent à la
prière, que ce soit dans la mosquée ou dans les
lieux de prière de l'aéroport, voire au bord d'une
route de montagne ou en pleine ville. Ils m'interpellent et je
me dis: quel cadeau d'avoir la prière.
La ville de Constantine
«Les musulmans : un défi, un danger, un
cadeau pour nos Églises et nos sociétés?»
Tel était l'intitulé du colloque proposé
par l'Église catholique et l'Église réformée
du canton de Vaud et ouvert aux Églises évangéliques.
Cette rencontre a attiré à St-Maurice du 27 au
29 janvier 2004, 60 à 70 pasteurs, prêtres, travailleurs
sociaux et autres personnes confrontées dans leur quotidien
ou par intérêt à ce défi que pose
l'islam non seulement à notre monde occidental mais aussi
au dialogue entre religions et particulièrement au christianisme.
Mon expérience avec les communautés chrétiennes
en Algérie, en milieu musulman, a éveillé
en moi l'intérêt pour la participation à
ce colloque.
D'entrée, nous avons entendu des phrases situant bien
la question et témoignant de ce défi que nous ne
pouvons esquiver :
«Dieu est amour et communion. Aimer Dieu, c'est aimer
l'autre. Et il ne faudrait pas aimer Dieu de travers».
(Pierre BUSCHER, évêque auxiliaire de Lausanne).
Ou encore : «Le dialogue religieux n'est pas une mode,
mais une nécessité». (Philippe BAUD,
prêtre catholique et fondateur du centre catholique d'études
de Lausanne).
L'affrontement entre chrétiens et musulmans est-il inéluctable
ou y a-t-il un espace de dialogue possible? Entre croyants monothéistes,
pouvons-nous partager nos interrogations et pouvons-nous cheminer
et découvrir Dieu?
«L'homme est ennemi de ce qu'il ignore». Ceci
s'applique largement aux relations entre musulmans et chrétiens.
Et déjà la relation se charge d'agressivité
à cause de la peur de l'autre, des clichés rapportés
et souvent déformés.
Le dialogue «interreligieux» ne conduit en
rien au relativisme. Les différences ne doivent pas être
passées sous silence. Les autres veulent savoir qui nous
sommes. D'où la nécessité de ne pas faire
des amalgames ou des raccourcis simplistes en jugeant globalement.
L'islam en Algérie n'est pas le même qu'en Arabie
saoudite.
Il existe dans le milieu musulman une multiplicité «
d'islam » ne facilitant pas le dialogue avec l'ensemble.
D'autre part la différence dans les attentes des musulmans
à l'égard de leur religion est bien souvent comparable
aux différences perçues dans notre propre société.
Christian DELORME (surnommé «le curé
des Minguettes»), prêtre à Lyon, l'a bien
montré dans sa présentation concernant la situation
des musulmans en France.
Voici les différentes sortes d'islam :
- Islam sécularisé qui ne cherche pas à
s'imposer, qui bricole avec sa foi (un peu comme certains chrétiens).
Ne demande pas forcément d'encadrement ; c'est un islam
libéral, individualisé. On ne l'entend quasiment
pas.
- Islam légitimiste officiel, qui s'aligne sur
les pays d'origine. Les Marocains écoutent les discours
du Ramadan. La mosquée de Paris est, politiquement, fortement
liée au groupement marocain.
- Islam militant piétiste visant la « réislamisation
des musulmans » ; il est souvent comparé aux Témoins
de Jéhova. C'est d'abord une attitude piétiste,
peu politisée. Mais il est militant, visible, sans vouloir
bouleverser la société.
- Islam politique Il n'exige pas seulement de pouvoir
vivre sa foi, mais il pense qu'il a quelque chose à dire
à la société. L'exemple type est Tariq Ramadan.
Cet islam est présent dans tous les médias, les
dialogues, dans la société et la politique. Il
perturbe la société et les Églises (et pas
seulement avec la question du voile; il exige aussi des horaires
séparés hommes femmes dans les piscines,
etc.)
Au cours de ce colloque nous avons aussi entendu des témoignages
poignants de personnes engagées dans le travail avec les
musulmans et qui sont une interpellation réelle pour l'Église,
comme par exemple celui de Jean-Pierre BARBEY, aumônier
des «cités interdites», centre de réfugiés
de Vallorbe.
Il y a 3-4 ans, l'état décide de déplacer
à Vallorbe le centre d'accueil de Genève, dans
lequel vivent environ 250 personnes, hommes, femmes, familles,
enfants. En général, il y a 30 personnes chaque
jour qui entrent et autant qui partent de ce centre. 82 pays
ont déjà passé par là. Il n'existe
aucun lieu d'intimité pour les familles et ces personnes
vivent dans la promiscuité et le bruit continuel. Pas
de possibilité d'intérioriser les souffrances et
les drames vécus par chacun. Un petit lieu d'aumônerie
a été ouvert et permet la rencontre, c'est un lieu
de pacification pour ceux qui vivent la foi chrétienne.
Immédiatement la question s'est posée: comment
offrir cette possibilité aussi aux musulmans. A Vallorbe
il n'existe aucun lieu permettant aux musulmans de se rencontrer
le vendredi. Il ne s'est trouvé aucune communauté
chrétienne disposée à mettre une salle ou
un lieu à disposition. Partout incompréhension
et peur de faire de nos Églises des mosquées. L'Église
catholique pensait que c'est le domaine politique qui devait
s'en occuper. Si le curé proposait une salle, c'est le
conseil de paroisse qui s'y opposait. L'Église du Réveil
elle non plus ne pouvait accepter, affirmant que sa mission était
d'annoncer la vérité et d'aller chez les musulmans
pour annoncer Jésus-Christ. Et cet aumônier de conclure
: difficile de faire comprendre à mes frères chrétiens
l'urgence de faire un pas en avant pour construire quelque chose
avec les musulmans.
Bien d'autres questions ont encore été soulevées
au cours de ce colloque de trois jours qui n'avait pas pour but
d'établir de grandes résolutions. Mais peut-être
pouvons-nous faire nôtre l'appel de l'un des participants
qui demandait que chacun au cours de cette année fasse
une action avec ou pour nos frères et soeurs musulmans.
« Laisserons-nous à notre table un peu d'espace
à l'étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra un peu de pain et d'amitié
?
Laisserons-nous à nos paroles un peu de temps à
l'étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra un coeur ouvert pour l'écouter
?
Laisserons-nous à nos fontaines un peu d'eau vive à
l'étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra des hommes libres et assoiffés
?
Laisserons-nous à nos Églises un peu d'espace à
l'étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra des coeurs de pauvres et d'affamés
?
Ne laissons pas mourir la terre, ne laissons pas mourir le feu,
Tendons nos mains vers la lumière, pour accueillir le
don de Dieu ».
(Arc en Ciel, n° 317)
Daniel NUSSBAUMER
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