Méditation
Envahisseurs venus du
Nord
Ainsi titrait le journal
"Coopération" n° 11 du 15 mars 2000. Il
faisait allusion aux millions de pinsons du nord qui ont
déferlé et hiverné cet hiver en
Suisse. En estimer le nombre n'est pas évident.
Peut-être pourra-t-on en lire un peu plus d'ici
quelques semaines dans les revues scientifiques. Le
chiffre cernant le mieux ce phénomène fait
état de 15 millions (plus ou moins 5
millions).
Le pinson du Nord est un proche
parent de notre pinson des arbres. Il niche dans les
forêts, de la Norvège au Kamtchatka. Il fait
partie de la famille des fringilles, comme le verdier ou
le chardonneret et pèse environ 20 grammes.
(Remarque : 15 millions de pinsons du Nord, càd,
300 tonnes env. le poids de 60
éléphants).
C'est une espèce connue pour
ses invasions hivernales. Ces invasions se produisent
suite à une année favorable quant à
la reproduction, suivie d'une mauvaise fructification des
hêtres dans l'aire d'origine. Ces oiseaux sont
alors contraints d'émigrer vers des régions
où les hêtres ont produit une grande
quantité de faines, la nourriture principale de
cette espèce.
Dès la fin décembre
de l'année dernière, chassés des
hauteurs par des chutes de neige, des pinsons du nord en
troupes considérables ont commencé à
se regrouper dans un dortoir pour la nuit en
Gruyère (entre Fribourg et Vevey). De les voir
arriver au dortoir le soir est un spectacle inimaginable
et inoubliable. Des centaines de personnes venues de
Suisse entière et même des pays voisins ont
eu le bonheur d'assister au spectacle son et
lumière du ballet formé par une colonne de
pinsons, large de plus de 200 mètres parfois,
s'écoulant comme une rivière à
quelques mètres du terrain, d'une manière
ininterrompue durant plus d'une heure.
A chaque attaque de rapaces - dont
plusieurs faucons pèlerins - attirés en
nombre pour profiter de l'aubaine, la belle ordonnance de
la colonne se rompait. Plongeant vers le sol, resserrant
les distances tout en tourbillonnant, les passereaux
opposaient un mur mouvant au prédateur qui,
déconcerté, ne savait plus où
projeter ses serres. La stratégie a
fonctionné souvent, car il n'était pas rare
de voir le chasseur de haut vol repartir
bredouille.
Lorsque la nuit tombait et que
chaque oiseau avait trouvé une place sur un
épicéa, tout danger n'était pas
écarté: les rôdeurs de la nuit,
à plumes et à poils, prenaient la
relève. Au lever du jour, le spectacle
recommençait.
Par deux fois, il m'a
été donné d'assister à ce
spectacle de l'arrivée des pinsons au dortoir.
C'est vraiment indescriptible. Et à mesure que le
nombre augmentait, le bruissement s'amplifiait,
ressemblant de plus en plus au ruisseau cascadant
par-dessus le rocher pour devenir finalement
rivière continuelle jusque tard dans la
nuit.
Une femme est arrivée
portant deux sachets de graines de 5 kg. L'ornithologue
à mes côtés lui posa la question:
"Qu'allez-vous faire de cela?" Elle
répondit: "Petite contribution aux besoins de
nourriture". Et mon ami de répondre: "Oui,
petite contribution en effet, puisque ces 15 millions
d'oiseaux "dévorent" en une journée une
quantité équivalente à 100 tonnes de
graines. Chaque jour!"
Et imaginez: Ils sont restés
2 mois; cela signifie 60 jours, 6000 tonnes de nourriture
trouvées, recueillies, mangées dans un
rayon de 50 à 100 km autour de leur dortoir.
Est-ce possible? direz-vous. Oui, semble-t-il, puisqu'ils
sont restés là aussi
longtemps.
Les paroles de Jésus ne
cessent de retentir à mes oreilles
:
"Voilà pourquoi je
vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de
ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le
vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la
nourriture, et le corps plus que le vêtement?
Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne
moissonnent, ils n'amassent point dans des greniers ; et
votre Père céleste les nourrit ! Ne
valez-vous pas beaucoup plus qu'eux? Et qui d'entre vous
peut, par son inquiétude, prolonger tant soit peu
son existence? Et du vêtement, pourquoi vous
inquiéter? Observez les lis des champs, comme ils
croissent: ils ne peinent ni ne filent, et je vous le
dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a
jamais été vêtu comme l'un d'eux! Si
Dieu habille ainsi l'herbe des champs, qui est là
aujourd'hui et qui demain sera jetée au feu, ne
fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi! Ne
vous inquiétez donc pas, en disant: Qu'allons-nous
manger? qu'allons-nous boire? de quoi allons-nous nous
vêtir? Tout cela, les païens le recherchent
sans répit, il sait bien, votre Père
céleste, que vous avez besoin de toutes ces
choses. Cherchez d'abord le Royaume et la justice de
Dieu, et tout cela vous sera donné par
surcroît. Ne vous inquiétez donc pas pour le
lendemain : le lendemain s'inquiétera de
lui-même. A chaque jour suffit sa peine." (Matthieu
6:25-34 TOB)
Il est vrai que ce n'est pas
toujours sans peine que nous vivrons notre vie. Les
difficultés, les luttes, l'inattendu se
présenteront toujours à nouveau sur notre
chemin. Là encore, nos pinsons du nord nous
aideront à comprendre. Eux aussi, lorsque le froid
est venu, s'ils étaient restés dans leur
nord septentrional, seraient tous morts. Ils ont dû
se mettre en mouvement, entreprendre la migration
jusqu'à ce qu'ils trouvent leur nourriture. Et
tous les matins ils se remettent en vol pour 10 ou 20 km
ou même davantage pour chercher leur nourriture. Et
si tous les soirs ils reviennent au dortoir,
dépensant à nouveau une grande partie de
l'énergie "emmagasinée" dans la
journée, c'est afin de se protéger :
isolés ou en petits groupes ils sont trop
vulnérables pour survivre. La mort aussi fait
partie de leur quotidien; nous l'avons vu, les rapaces,
placés plus haut dans la chaîne alimentaire,
en vivent.
Un soir nous avons recueilli l'un
de ces oiseaux. Pourquoi était-il tombé?
Collision?, faiblesse? Celui-là, ce
soir-là, s'est envolé à nouveau.
Nous l'avons placé sur une branche et 10 minutes
plus tard ils rejoignait ses congénères.
Mais combien d'autres meurent dans cet exode? Entre le
moment du départ et le début de la saison
de reproduction on parle de 10 % de perte: 1,5 million
d'oiseaux qui ne retourneront pas d'où ils sont
partis. C'est un lourd tribut! C'est la
vie.
N'en est-il pas de même pour
l'être humain? 5 ou 6 milliards d'individus
peuplent notre planète. Chacun cherche son chemin,
lutte pour survivre, les uns mieux que les autres (est-ce
de leur faute?). Et pourtant: "Qui d'entre vous peut,
par son inquiétude, prolonger tant soit peu son
existence?" Le Père céleste sait de
quoi nous avons besoin. C'est pourquoi je me dis: "Je
veux apprendre à lui faire
confiance."
Confie à Dieu ta
route, Dieu sait ce qu'il te faut ;
Jamais le moindre doute ne le
prend en défaut.
Quand à travers l'espace
il guide astres et vents,
Ne crois-tu pas qu'il trace la
route à ses enfants ?
Tout chemin qu'on t'impose peut
devenir le sien,
Chaque jour il dispose de
quelque autre moyen;
Il vient tout est lumière
; il dit, tout est bienfait ;
Nul ne met de barrière
à ce que sa main fait.
Consens à lui remettre le
poids de ton souci.
Il règne, il est le
maître, maintenant et ici.
Captif, pendant tes veilles, de
vingt soins superflus,
Bientôt tu
t'émerveilles de voir qu'ils ne sont
plus.
Bénis, ô Dieu, nos
routes, nous les suivrons heureux,
Car toi qui nous écoutes,
tu les sais, tu les veux.
Chemins riants ou sombres, j'y
marche par la foi ;
Même au travers des
ombres, ils conduisent à
toi.
Daniel NUSSBAUMER,
Genève
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